Cet aprรจs-midi, j’ai tenu ร participer ร l’inauguration de cinq pavรฉs de la mรฉmoire, en souvenir de mon ami Henri Kichka, survivant d’Auschwitz qui nous a quittรฉs il y a trois ans, ainsi que de ses parents et ses soeurs, qui n’en sont jamais revenus. Ces pavรฉs se trouvent devant leur maison, au 29 de la Rue Coenraets ร Saint-Gilles, lร -mรชme oรน ils furent arrรชtรฉs pour รชtre dรฉportรฉs.
J’avais promis ร Henri d’รชtre, moi aussi, ร ma faรงon, ร mon endroit, un passeur de mรฉmoire. Raison pour laquelle il รฉtait primordial d’รชtre prรฉsent. La journรฉe annuelle de commรฉmoration et de rรฉflexion autour de la question des gรฉnocides que j’ai mise en place ร la Chambre des Reprรฉsentants s’inscrit dans cette dรฉmarche si importante pour moi.
Voici le discours que j’ai prononcรฉ pour lui:
“Chers amis, que symbolisent ces pavรฉs de la mรฉmoire ? Une tragรฉdie. Un espoir. Une famille. La famille kichka, et parmi elle, Henri.
Un petit homme aux yeux bleus rieurs, un regard malicieux, une voix claire et le verbe assurรฉ, sa farde de dessin ร la main et un humour caustique pour allรฉger lโindicible de ses tรฉmoignagesโฆ Un homme avec un grand H pรฉtri dโhumanitรฉ, semeur infatigable de graines de paix et de tolรฉrance aprรจs avoir vรฉcu lโenfer.
Cโest lโimage que je retiens de nos rencontres. Henri Kichka, ce ketje de Bruxelles, enfant dโune famille juive dโorigine polonaise avait quatorze ans lorsquโil fut, comme des milliers dโautres chassรฉ de chez lui, au 29 rue Coenraets, et dรฉportรฉ vers les camps de concentration nazis.
38 mois dโune inhumaine et incomprรฉhensible dรฉportation qui lโont poussรฉ, de camps en camps, onze au total, vers ce quโil qualifiait du ยซpire dโentre-eux ยป : Auschwitz-Birkenau.
ยซ Une adolescence perdue dans la nuit des camps ยป. Cโest le titre de son testament moral, ce livre oรน il accepta finalement de se livrer et peut-รชtre de se dรฉlivrer ( le peut-on un jour ?) de cet ignoble cauchemar de la Shoah. 1150 jours dans lโenfer concentrationnaire. Le jeune Henri fut le seul de sa famille ร en sortir vivant. ยซ Demi cadavre transi de peur ยป, rรฉduit au numรฉro tatouรฉ dans sa peau, ยซ sans haine et sans sentimentยป comme il le racontait, il eut encore la force de rรฉsister ร la Marche de la mort.
Des annรฉes durant, comme pour conjurer ce triste sort, Henri, Monsieur Kichka, passa sous silence lโhorreur de ce destin tragique. Il fonda un foyer avec sa femme Lucia, eut des enfants, de trรจs nombreux petits enfants et recrรฉa lโarbre de vie dont ses racines lโavaient injustement privรฉ.
Puis poussรฉ par les siens, Henri raconta, une fois, deux fois, mille fois lโignominie de cette tyrannie. Au nom des siens, au nom de tous ceux qui nโy ont pas rรฉchappรฉ, au nom de lโhumanitรฉ, il devenait un infatigable passeur de mรฉmoire, dans les mรฉdias, dans les classes dโรฉcole ou dans les travรฉes abrutissantes du camp dโAuschwitz. Henri Kichka nous mettait en garde contre la tyrannie, la haine, lโesprit du malโฆ
J’avais fait une promesse ร Henri. Celle d’ร ma faรงon, ร mon endroit, รชtre รฉgalement un passeur de mรฉmoire. Je me suis attelรฉ ร le faire inlassablement ร la tรฉlรฉvision. Je le fais dรฉsormais รฉgalement, depuis quatre ans, en tant que dรฉputรฉ au Parlement fรฉdรฉral. A mon initiative, chaque 9 dรฉcembre, une Journรฉe de commรฉmoration des victimes de la Shoah et des autres gรฉnocides reconnus par l’Etat belge et un colloque sont organisรฉs en prรฉsence d’รฉcoliers de tout le pays.
Reste aujourd’hui pour Henri une profonde gratitude. Mais surtout le souvenir dโun homme hors-norme, aux yeux rieurs, au regard malicieux, ร lโhumour caustique pour allรฉger lโindicible de ses tรฉmoignages. A chacun dโentre nous de faire vivre sa mรฉmoire pour combattre lโintolรฉrance, le racisme, lโextrรฉmisme et ร notre tour, dans son sillon, de semer des graines de paix, avec en tรชte le souvenir รฉmu d’Henri.”
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