Cette semaine avait lieu à la Chambre la présentation de la note de politique générale de la Ministre des Affaires étrangères, des questions européennes et du commerce extérieur, Sophie Wilmès.
Suite à sa présentation, je suis intervenu pour souligner les grands dossiers qui occuperont nos prochains mois au Parlement. J’en ai profité pour lui poser une série de questions. La Ministre reviendra la semaine prochaine pour y apporter des réponses.
Madame la Ministre,
Permettez-moi avant toute chose de vous souhaiter un bon retour parmi nous. Nous savons à quel point ces dernières semaines ont été difficiles pour vous et nous espérons que cette épreuve est désormais derrière vous.
Je vous remercie pour votre exposé. Il présente de manière détaillée la tâche qui vous attend pour ces quatre prochaines années et nous offre un aperçu des priorités de la Belgique dans les matières internationales.
La politique étrangère à venir se veut ambitieuse, dans un contexte où les défis, déjà nombreux ces dernières années, sont encore complexifiés par l’impact économique de la crise sanitaire que nous traversons.
- Affaires Européennes
Le premier point sur lequel je souhaite intervenir concerne les affaires européennes.
Plusieurs dossiers majeurs sont aujourd’hui sur la table :
Il y a, tout d’abord, le Cadre Financier Pluriannuel et le Fonds de relance.
Les discussions sont dans une impasse. La Pologne et la Hongrie bloquent le processus en réaction au projet de règlement liant le versement des subventions au respect de l’Etat de droit.
Le respect de l’Etat de droit constitue une de nos valeurs les plus fondamentales. En cas d’absence d’unanimité sur la question, l’Union fonctionnera l’an prochain sur les bases de son budget 2020. Le fonds de relance, lui, serait bloqué, ce qui priverait la Belgique d’un financement qu’on sait crucial, notamment pour nos régions, nos agriculteurs et nos chercheurs.
Cela m’amène à une question :
Quels sont les mécanismes d’évaluation et de suivi des mesures prises dans le cadre du plan de relance afin de vérifier que les financements accordés ont répondu à des besoins réels ? A quand peut-on estimer la première évaluation ?
Un autre grand dossier est, bien sûr, le Brexit.
Les négociations semblent de plus en plus abouties, laissant entrevoir la possibilité de trouver un accord. Néanmoins, on manque de temps. La Secrétaire générale de la Commission a déclaré qu’il était probable qu’ils ne seraient pas en mesure de traduire le traité de plus de 600 pages dans les 24 langues officielles de l’Union dans les temps.
Dans cette hypothèse, peut-on envisager que l’accord, même s’il implique à la fois des compétences européennes et nationales, soit provisoirement mis en vigueur le 1e janvier, les parlements nationaux le ratifiant ultérieurement ? Quid de la préparation et de l’impact de ce retard sur les entités fédérées et nos entreprises ?
En ce qui concerne le marché intérieur, la stratégie industrielle de l’Union européenne, présentée en mars dernier, entend s’attaquer aux obstacles empêchant le bon fonctionnement du marché unique. Ces obstacles (règles nationales restrictives, capacités administratives limitées, mauvaise transposition ou application des règles de l’UE donnant lieu à des règlementations inutiles) freinent l’activité et le développement des entreprises européennes, et leur suppression pourrait rapporter jusqu’à 713 milliards d’euros d’ici la fin de la décennie.
Ma question est simple : quelles sont les priorités en la matière pour la Belgique et les entreprises belges ?
Pour ce qui est de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, comment encourager la plus grande implication possible des citoyens et de la société civile ? De quels instruments disposons-nous ? Quels acteurs sont-ils impliqués ?
Outre le rôle des institutions européennes, quel rôle peuvent tenir les institutions belges ?
Pour ce qui concerne l’Etat de droit, l’une de nos priorités, les systèmes démocratiques de plusieurs pays membres ont souffert de certains abus.
Leurs gouvernements ont utilisé les pouvoirs extraordinaires pour porter atteinte aux droits et libertés fondamentales ainsi qu’à l’Etat de droit.
L’application de l’Etat de droit souffre d’une part de la difficulté de le définir de manière uniforme, et d’autre part du manque d’instruments juridiques dont dispose la Commission pour l’imposer.
Quelle impulsion peut donner la Belgique pour une réflexion sur cette question ? Ce point pourrait-il faire l’objet d’une des priorités de la présidence belge de l’UE en 2024 ?
Enfin, je viens de l’évoquer, le premier semestre de l’année 2024 verra l’Union présidée par la Belgique.
Comment se prépare cette présidence ? Quel rôle et quelle implication aura la société civile dans ce cadre ? Quelle seront les grandes priorités ?
- Monde
J’en viens finalement, Madame la Ministre, à la situation internationale globale.
De manière générale et au-delà de 2021, la Belgique continuera à défendre le multilatéralisme et le respect des droits de l’Homme dans toutes les enceintes internationales, au travers de contacts bilatéraux et multilatéraux.
A ce sujet, pouvez-vous nous évoquer ce que sera notre stratégie pour obtenir un siège au Conseil des Droits de l’Homme pour la période 2023-2025 ? Nous appuierons-nous sur le succès de notre campagne pour obtenir le siège non permanant au Conseil de sécurité des Nations Unies ?
Au Maghreb, 2 grandes problématiques marqueront cette législature. L’accompagnement des transitions politiques, l’ouverture des clés du pouvoir à de nouveaux partis tout en réduisant l’influence des islamistes, la redistribution des richesses réelles, la préservation des libertés individuelles, d’une part. La coopération régionale, avec la question du Sahara occidental, d’autre part.
Dans la région du Golfe, les leviers à utiliser pour arriver à une paix au Yémen, la lutte contre Daech, la question du retour des FTF et de leurs familles, l’aide au Liban, l’aide aux réfugiés syriens, la lutte contre l’impunité à la suite des exactions contre les minorités religieuses en Syrie, le fonctionnement d’INSTEX et les conséquences d’un retour des Etats-Unis dans l’accord nucléaire constituent certains des gros dossiers qui seront à suivre de près.
En ce qui concerne la situation au Sahel, il y aura dans quelques semaines une stratégie européenne renouvelée. N’est-ce pas là l’occasion de réfléchir à la façon optimale de coordonner nos moyens de coopération au développement, d’Affaires Étrangères et de Défense ?
Madame la ministre, j’aimerais maintenant évoquer ici le récent conflit meurtrier et dévastateur au Haut-Karabakh. Je vous avoue être profondément marqué et ébranlé par les images atroces qui me parviennent : images de tortures, d’exécutions sommaires et même de décapitations face caméra de soldats arméniens par des mercenaires embrigadés par l’Azerbaïdjan.
Nous avons bien sûr tous été meurtris par la récente décapitation du professeur Paty en France, à mes yeux, il ne peut y avoir d’indignation sélective. Raison pour laquelle j’ai déposé une résolution débattue en ce moment au sein de ce parlement.
Le 8 octobre en plénière, alors que les combats entre l’Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, et l’Arménie faisaient rage, je vous avais déjà interpellée. Vous me confirmiez alors que des armes interdites étaient utilisées. J’insistais pour ma part sur notre désapprobation de voir des avions de chasse de la Turquie, membre de l’Otan, bombarder la région.
Le 15 octobre, toujours en plénière, et en votre absence, votre collègue du gouvernement Eva De Bleeker nous rendait compte de VOS efforts personnels et répétés pour obtenir un accord inconditionnel sur un cessez le feu durable et évoquait votre entretien téléphonique à ce propos avec votre homologue turc.
Le 12 Novembre, cette fois par la voix du ministre Clarinval, VOUS dénonciez l’usage de bombes à sous-munitions et le fait qu’avec l’aide de la Turquie, l’Azerbaïdjan ait déployé des mercenaires, notamment syriens. Vous preniez acte de l’accord du 9 Novembre qui a mis fin aux hostilités après des avancées militaires azéries considérables.
Au nom de ma formation, et face à la réaction désunie et trop passive de la Communauté internationale, je vous remercie d’avoir utilisé les différents cénacles internationaux, le conseil européen, le conseil de sécurité des Nations Unies, pour faire pression et contribué à votre mesure, à ce que les armes se taisent après un mois et demi d’hostilités.
Soyons lucide et de bon compte : Les armes ne sont tues que lorsque les forces arméniennes ont connu une défaite militaire et lorsque la Russie est intervenue pour imposer ce cessez le feu. Et aujourd’hui la situation reste critique et fragile. De nombreuses questions sont en suspens.
Peut-on faire confiance aux Russes, qui ont déployés sur place 2 mille soldats, pour maintenir, seuls, le cessez-le-feu ? ( A mon estime, le groupe de Minsk et l’OSCE constitue des garants plus neutre et donc plus compétents)
Quel format prendront les négociations sur le statut définitif du Haut-Karabakh ?
Quel rôle y tiendra le groupe de Minsk ?
Comment protéger les civils restés sur place ? Comment aider à reconstruire ?
Comment éviter une épuration ethnique déguisée alors que j’apprenais hier que le régime turc de Recep Erdogan aurait ouvert deux bureaux d’enregistrement a Afrin en Syrie pour recruter des habitants prêts a s’installer dans la zone de conflit ?
Comment recueillir sur place les preuves des exactions, de crimes de guerre, voir de crime contre l’humanité et traduire leurs auteurs, quels qu’ils soient, devant une juridiction internationale?
Comment protéger le patrimoine séculaire arménien désormais ou partiellement détruit ou menacé de destruction totale ?
Enfin, quelles leçons peuvent tirer la Belgique et l’Union européenne de ce douloureux épisode en termes de relations internationales ?
Je pense sincèrement que la Communauté internationale en ce compris notre pays a un rôle crucial à jouer et que ce serait une erreur manifeste de laisser la Russie seule arbitrer ce conflit et ses conséquences à court, moyen et long terme.
Madame la ministre, Au-delà de ces situations régionales, la question des droits et de la sécurité des femmes est primordiale. Je me réjouis de la voir évoquée comme une priorité dans votre note d’orientation. Je le souligne particulièrement en cette Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Pour ce qui concerne le Traité de Non-Prolifération, vous précisez que la Belgique continuera à s’investir de manière active dans le désarmement nucléaire et la non-prolifération au niveau mondial et à jouer un rôle pro-actif lors de la conférence d’examen du TNP qui devrait se tenir en août 2021. Je suis, là encore, ravi de l’entendre. J’ai d’ailleurs déposé une résolution en ce sens qui devrait être votée sous peu.
En termes d’armements, la Belgique poursuivra son rôle actif dans le débat sur l’impact de systèmes d’armement entièrement autonomes et est candidate à la présidence du groupe d’experts compétents des Nations Unies en 2021. Rendez-vous prochainement donc pour analyser l’évolution de ce dossier.
- Conclusion
Madame la Ministre,
Je le disais en introduction, la politique étrangère que mènera la Belgique dans les années à venir se veut ambitieuse. Elle intervient, vous l’avez souligné, dans un contexte international incertain, avec de nombreux défis à affronter, j’en ai évoqué quelques-uns dans mon intervention.
Je ne doute pas que vous mènerai votre mission avec le même entrain et la même volonté de réussite qui vous a guidé jusqu’à présent. Vous avez ma totale confiance.
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