Vendredi avait lieu, à la Chambre, la première journée de commémoration de la mémoire des victimes des génocides reconnus par l’État Belge. Une journée nationale qui aura lieu chaque 9 décembre à la suite de la résolution que j’avais déposée et faite adopter il y a deux ans.
Cela a permis à l’ensemble des communautés victimes de ces génocides d’être entendues (les communautés arménienne, araméenne, assyrienne et grecque pontique, les communautés juive, tutsie, cambodgienne), une première dans notre pays !
A cette occasion, une cérémonie protocolaire a eu lieu durant la matinée, suivie d’un colloque réunissant professeurs d’université, témoins directs et associations. Des élèves du secondaires ainsi que des membres de l’école de police et de l’école royale militaire étaient également présents.
L’objectif de cette journée est double : se souvenir, d’une part. Par respect pour les innombrables victimes, bien sûr, mais aussi pour comprendre le passé et éviter qu’il ne devienne le futur. Transmettre, d’autre part, aux nouvelles générations. Afin qu’à leur tour, elles deviennent passeuses de cette mémoire.
Voici le discours que j’ai tenu durant la cérémonie :
👉 “C’est un honneur pour moi de vous retrouver ici, dans cet hémicycle, au cœur même de la démocratie, pour cette première Journée dédiée à la mémoire des victimes des génocides officiellement reconnus par l’État belge.
Une journée qui fait suite à une résolution que j’avais déposée et qui a été adoptée, à l’unanimité des députés de notre assemblée, en décembre 2020.
Nous voici donc réunis pour commémorer la mémoire de toutes celles et tous ceux qui ont payé de leur vie le prix de cette ignominie. Mais aussi pour comprendre comment, dans l’Histoire, de tels actes ont pu être commis. Et pour tout faire pour que plus jamais, cela ne puisse se reproduire.
C’est un vœu pieu que l’on lance depuis de nombreuses décennies : « plus jamais ça ».
Car depuis que l’inimaginable Shoah s’est produite, et que la notion de génocide est apparue, il y a eu celui des Tutsis.
Car depuis, il y a eu le massacre de Srebrenica.
Car depuis, il y a eu le régime mortifère des Khmers rouges.
Et plus récemment encore, il y a eu les massacres des Yézidis, à ce jour reconnu comme crime de génocide par la Chambre. C’était il y a quelques mois.
En remontant dans le temps, comment ne pas penser aux Arméniens, victimes du génocide de 1915, à tant de peuples opprimés, comme, récemment, les Ouïghours, qui craignent pour leur existence même, au Xinjiang, en Chine.
« Plus jamais ça ! ». Bien sûr, c’est ce que nous souhaitons. Mais soyons lucides, l’histoire peut se répéter à tout moment.
Le monde est rempli d’extrémismes, sous différentes formes plus nauséabondes les unes que les autres : parfois explicites, parfois sournoises.
Un jour ou l’autre, par faiblesse, par lâcheté ou simplement par manque de vigilance, nous pourrions tous devenir les nouveaux bourreaux ou les nouvelles victimes d’actes barbares.
Il y a quelques semaines, je me suis rendu, une nouvelle fois, dans le camp d’Auschwitz-Birkenau.
A chaque visite, l’effroi et l’émotion sont indescriptibles. L’incrédulité est à son comble. Comment croire que l’Homme est capable de telles atrocités ?
Ces visites ne sont pas vaines. Elles sont nécessaires.
Nécessaires pour se rappeler, de notre Histoire.
Nécessaires pour rappeler, encore et encore, que si l’être humain est capable du meilleur, il est également capable du pire.
Nécessaires pour montrer aux derniers survivants, mais aussi aux descendants des millions de victimes, que nous ne les oublions pas, que nous ne les oublierons pas.
Ces visites sont un moment suspendu, hors du temps. On est pris au plus profond de notre être par tout ce qui nous entoure. Tout ce qui nous rappelle ce qui s’y est passé il y a plus de 75 ans. Tout ce qui s’est passé, à d’autres époques, à d’autres endroits du monde.
Tout cela nous replonge cruellement dans cette horrible réalité.
Comment l’homme peut-il en arriver là ? Cette question revient, encore et encore.
On a envie de croire au « Plus jamais ça », mais je vous l’ai dit, la réalité nous rattrape.
Cette réalité parfaitement étayée, scrupuleusement détaillée et abondamment documentée dans le Mémorial Tsitsernakaberd d’Erevan en Arménie où je me suis rendu il y a quelques semaines. Tout y démontre que plus d’un million d’Arméniens, d’Araméens, de Syriaques et de Grecs pontiques ont été massacrés parce qu’ils étaient Arméniens, Araméens, Syriaques ou Grecs pontiques.
Dans toute l’Europe, mais aussi en Belgique, entre 5 et 6 millions de Juifs ont été déportés puis gazés ou assassinés parce qu’ils étaient Juifs.
Au Rwanda en avril 1994, plus d’un million de Tutsi ont été tuées parce qu’ils étaient Tutsis.
A Srebrenica, en juillet 1995, 8.000 Bosniaques ont été tués en onze jours parce qu’ils étaient Bosniaques.
Au Cambodge entre 1975 et 1979, entre 1 million et demi et deux millions de cambodgiens ont été tués pour leur seule appartenance à leur groupe.
Plus récemment, encore, des milliers de Yézidis ont été tués parce qu’ils étaient Yézidis.
Qui peut nous dire, qui peut nous assurer, que nous en avons terminé avec cela ?
Alors soyons vigilants. Souvenons-nous, et transmettons le message. Sensibilisons les nouvelles générations, éveillons les consciences dans l’ensemble de la société.
Pour que chacun soit conscient de ce que l’intolérance peut amener. De ce, à quoi, la haine peut mener.
Ne perdons jamais de vue les valeurs qui nous sont fondamentales, et agissons, partout où nous le pouvons, pour faire respecter ces valeurs.
C’est l’objectif de cette journée de commémoration. En entendant des témoins, des associations mais aussi des experts, nous allons pouvoir chercher à comprendre les mécanismes qui sous-tendent ces crimes de masse, crimes contre l’humanité et pour certains génocides quand il est question d’éradiquer l’identité même, l’existence même de certains peuples. Nous allons pouvoir déconstruire l’histoire pour mieux l’appréhender. Comprendre comment un homme jusque-là sans histoire peut se transformer en bourreau, être amené à en tuer un autre. Pour des valeurs, pour des idéologies qui nous dépassent et qui dépassent l’entendement.
C’est, j’en suis persuadé, par ce type de réflexions que nous aurons ici même cet après-midi, par ce type de transmissions aux jeunes et moins jeunes, que nous pourrons aller vers un monde plus humain.
Pour qu’un jour, peut-être, nous puissions vivre dans un monde qui ne connaîtra « plus jamais ça »…
Je vous remercie très sincèrement, chacun et chacune, pour votre présence. Nous avons tous un rôle à jouer. Nous sommes chacun d’entre-nous des passeurs de mémoire, et comme l’a écrit « Winston Churchill, un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ».”
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