Ce lundi , pour la plupart d’entre vous, d’entre nous, ne résonne pas comme un lundi habituel. Ce lundi touche à votre histoire, à notre histoire commune, faite malheureusement d’épisodes douloureux dans lesquels l’humanité à une responsabilité collective.
Ce lundi est la journée internationale de commémoration des victimes du crime de génocide, d’affirmation de leur dignité et de prévention de ce crime.
Commémorer, c’est honorer la mémoire de ceux qui, innocents et par millions, ont payé de leur vie l’indicible abomination des génocides.
Affirmer leur dignité n’est pas un vain mot. C’est un devoir. Un devoir hautement moral dans une société en pleine mutation qui s’accélère et où le temps, celui de la réflexion, du souvenir, du recueillemet fait trop souvent défaut. Une société où ceux qui ont cotoyé ces abominations se font avec le temps de plus en plus rares et où il est plus que jamais nécessaire d’entretenir la mémoire… D’être les passeurs de mémoire auprès des jeunes générations avec rigueur et intégrité pour que le message qu’ils nous ont légué ne soit ni déformé, ni oublié mais transmis, inlassablement… Car comme l’a écrit Albert Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde ».
C’est ainsi, et seulement à cette condition, que nous pourrons agir de notre mieux pour le prévention de ce crime, hic et nunc, ici et maintenant, mais aussi au-delà des frontières, des générations, des préjugés, des intérets particuliers qui hélas minent trop souvent l’intérêt général.
Je ne souhaite en rien faire de cette journée et du drame auquel elle fait écho une intrigue politique. Face l’Histoire et à ses errances les plus abominables, nous nous devons d’avancer, unis, vers un seul objectif : la reconnaissance de LA vérité. « Faute avouée à moitié pardonnée » dit le dicton populaire… Une vision bien sûr un peu simpliste, mais qui comporte en effet une part de vrai dans le nécessaire processus de réconciliation de tous les protagonistes, victimes et bourreaux d’un génocide. Mais aussi ceux qui, ça et là, n’ont rien fait ou failli dans leur devoir d’empêcher sa survenance.
Vous le savez je ne suis pas un politicien routinier. Mais en revanche, un homme de conviction et de parole. Et la réalité absurde des atrocités d’un génocide, avec mes yeux ébahis et mon cœur déchiré par autant d’ignorance dans le chef de ceux qui pensent que c’est celui qui crie le plus fort qui a forcément raison. Cette réalité, je l’ai approchée durant un mois, à l’époque, en tant que Reporters lors du génocide Rwandais d’avril 94. J’en garde des images, des témoignages déchirants, bouleversants, d’inhumanité… à jamais gravés dans ma mémoire. Que dire alors de ceux qui ont perdus un être cher, hantés par ces visions d’horreurs qu’ils garderont jusqu’à leur dernier souffle.
En entrant en politique, mon premier geste a été de porter une proposition de loi qui pénalisait la négation du génocide arménien. C’était le 24 avril dernier devant le mémorial érigé à Ixelles. Certes, deux jours plus tard, la Chambre était dissoute mais, par là même, avec l’approbation du premier ministre de l’époque, Charles Michel, mon parti redisait officiellement sa volonté d’une reconnaissance juridiquement plus aboutie de cette page noire de l’Histoire. Une fois élu, avec l’approbation de mon groupe, j’ai donc tenu parole et redéposé cette proposition de loi qui vise à reconnaître le génocide des Arméniens, des Assyriens (en ce compris les araméens) et des Grecs pontiques, et à pénaliser sa négation. C’était le 10 octobre dernier.
Vous ne le savez peut-être pas, mais le Mouvement Réformateur, mon parti, a reconnu le génocide arménien à de maintes reprises et sans aucune ambiguïté.
En 2005 la sénatrice Christine Defraigne a déposé une proposition de résolution invitant le gouvernement turc à reconnaître le génocide des Arméniens par le régime jeune-turc au cours de la Première Guerre mondiale.
Dix ans plus tard, en 2015, le Premier Ministre Charles Michel a reconnu officiellement, en séance plénière, le génocide. Je vais y revenir.
L’étape suivante est donc d’aller au-delà et de faire adopter une loi reconnaissant ce génocide et sanctionnant son négationnisme.
Avant d’aller plus loin dans notre présentation, je tiens à préciser un élément important : dans cette proposition de loi, nous parlons du génocide des Arméniens, des Assyriens et des Grecs pontiques. Cela ne se veut en aucun cas exclusif, bien au contraire. Les Assyriens sont, en effet, connus dans d’autres appellations : Araméens, Chaldéens et Syriaques. Nous avons choisi de conserver la nomenclature la plus englobante afin de nous aligner sur d’autres textes existants et éviter ainsi tout problème de procédure. Le « génocide des Assyriens » a, en effet, été reconnu ces dernières années par la Californie, les Pays-Bas ou encore l’Autriche, pour ne citer qu’eux.
Ceci étant dit, je ne vais pas vous expliquer à nouveau toute l’histoire de ces événements, d’autres l’ont fait bien mieux que moi.
Rappelons-nous simplement que ce génocide des Arméniens, des Assyriens, des Grecs pontiques, commis en 1915 dans l’ancien Empire ottoman a douloureusement marqué l’histoire du vingtième siècle. 1,2 million d’Arméniens, 500.000 Assyriens et 500.000 Grecs pontiques ont perdu la vie lors de ces dramatiques événements.
Cette barbarie programmée a laissé dans la mémoire collective une blessure ineffaçable.
C’est la raison pour laquelle il était politiquement indispensable aux yeux du Mouvement réformateur que notre Gouvernement reconnaissent enfin ces faits sous le vocable de génocide.
Ce fut donc chose faite lors de la séance plénière du 18 juin 2015, lorsque le Premier Ministre, Charles Michel, a je vous l’ai dit en introduction, au nom de la Belgique et de son Gouvernement, reconnu le génocide arménien.
Rappelons-nous ces quelques mots prononcés à cette occasion : « Le gouvernement belge et moi-même estimons que les événements tragiques survenus entre 1915 et 1917, et dont le dernier gouvernement de l’Empire ottoman est responsable, doivent être qualifiés de génocide. Il est crucial pour l’avenir d’encourager les initiatives favorables au dialogue et à la réconciliation. Je me réjouis de l’évolution constatée dans les discours officiels des gouvernements concernés: des condoléances ont été exprimées. En Europe, nous connaissons l’importance de la réconciliation. »
Cette reconnaissance du génocide n’a pas pour sens de dire l’Histoire : c’est le travail des spécialistes. Elle n’a pas non plus pour sens de dire le Droit : c’est le travail aujourd’hui des tribunaux et de la Cour Pénal Internationale. En revanche, il a s’agit d’un geste politique fort du Gouvernement.
Les atrocités commises par les autorités de l’Empire ottoman envers le peuple arménien durant la Première Guerre mondiale sont désormais considérées par la Belgique comme un « génocide ».
Proclamer publiquement cette vérité, ce n’est pas seulement manifester notre attachement au devoir de mémoire, aux droits de l’homme et aux valeurs universelles auxquelles nous adhérons. C’est aussi prendre part au combat sans fin contre l’amnésie collective.
La proposition de loi que nous avons déposée accompagne cette reconnaissance politique.
Notre texte a été déposé 10 octobre dernier et pris en considération par la plénière une semaine plus tard. Il est maintenant en attente de sa discussion en commission.
Dans son article 2, cette proposition dispose que la Belgique reconnaît publiquement le génocide arménien, assyrien et grec pontique de 1915.
L’article 3 énonce quant à lui les peines encourues à celui qui nie, minimise grossièrement, cherche à justifier ou approuve ce génocide : emprisonnement d’un mois à un an, et amende de cinquante à mille euros.
L’article 4 prévoit que, en cas d’infraction à cette loi, il peut être ordonné l’insertion du jugement, intégralement ou par extrait, dans un ou plusieurs journaux, et son affichage, aux frais du condamné.
Enfin, l’article 5 dispose que le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et les discriminations ainsi que toute personne morale qui se propose, par ses statuts, d’assister, de défendre les intérêts moraux, l’honneur ou la mémoire des victimes du génocide peuvent intenter des actions en justice dans tous les litiges auxquels l’application de la présente loi pourrait donner lieu.
J’insiste et je le répète : l’objectif de mon groupe politique, à travers ce texte est double. Nous voulons rendre justice à un peuple et rendre hommage à sa mémoire.
Je tiens à préciser, et c’est très important, que ce texte n’est pas un acte d’accusation ou de stigmatisation contre la Turquie contemporaine ou la population turque.
Ni le peuple turc, vivant en Turquie ou en Belgique, ni les personnes de nationalité belge ayant des origines turques ne sont coupables ou complices de ce génocide, cela va de soi. Il n’y a donc pas de culpabilité collective, mais les autorités turques et le peuple turc doivent accepter leur Histoire.
Une nation se grandit en regardant son passé en face, et c’est tout ce que nous souhaitons à la Turquie.
Le but n’est pas de stigmatiser, mais, au contraire, d’apaiser. 100 ans après les faits, l’heure est à la reconnaissance et au recueillement, au pardon et à la réconciliation.
Par la reconnaissance et la pénalisation de la négation de ce génocide, nous souhaitons rendre hommage aux Arméniens et aux Belges d’origine arménienne et leur témoigner solennellement notre respect et notre solidarité.
Nier ce génocide, c’est vouloir faire une nouvelle fois disparaître ce peuple, sa mémoire et le patrimoine que les Arméniens représentent pour l’humanité.
Voilà résumées, en quelques minutes, les raisons pour lesquelles ils nous semblent primordial de porter ce texte et de nous réunir autour de ce combat.
Avant de terminer, je voudrais profiter de la tribune qui m’est offerte pour, en quelques mots, vous présenter un autre texte que j’ai déposé vendredi dernier :
Il s’agit d’une proposition de résolution relative à l’instauration du 9 décembre comme journée nationale dédiée à la mémoire des génocides reconnus officiellement par l’État belge et l’organisation, à cette occasion d’une cérémonie de commémoration officielle de la mémoire de leurs victimes.
Vous le savez, nous sommes aujourd’hui le 9 décembre, Journée internationale de commémoration des victimes du crime de génocide, d’affirmation de leur dignité et de prévention de ce crime.
L’objectif de cette Journée est de mieux faire connaître la Convention sur le génocide et son rôle dans la lutte contre le génocide et la prévention de ce crime, tel que défini dans la Convention, et de commémorer et honorer les victimes.
Vu l’importance des crimes dont il est question, l’importance de la commémoration de leurs victimes et l’importance de la prévention contre d’autres actes de cette nature, il me semble important que la Belgique prenne part de manière active à cette journée internationale.
En effet, la Belgique a reconnu, dans son histoire, plusieurs génocides. Si certains font déjà l’objet de commémorations officielles, ce n’est pas le cas pour tous à ce jour. Dédier une journée à l’ensemble de ceux reconnus officiellement par l’Etat belge permettra de commémorer la mémoire des victimes desdits génocides, en ce compris celles du génocide des arméniens.
L’objet de la présente proposition est dès lors de demander au gouvernement de mettre en place, le 9 décembre, une Journée nationale dédiée à la mémoire de l’ensemble des génocides reconnus officiellement par notre pays et de veiller à l’organisation, à cette occasion, d’une cérémonie officielle en présence d’un représentant du gouvernement fédéral.
Là encore, car il ne s’agit pas d’un acte communautariste, de récupération politique mais bien d’un acte qui transcende toutes les familles politiques et qui tend vers des valeurs nobles et universelles, j’invite mes collègues des autres partis démocratiques à le soutenir, le cosigner, le faire aboutir, en mettant en avant la noblesse des valeurs qui nous réunissent plutot que ce qui peut de temps à autres nous diviser.
D’aucuns pourront trouver cette proposition purement symbolique. Mais pour moi, en la matière, les symboles ont un sens et permettent de faire évoluer les mentalités. Si ce texte peut y contribuer, en complément, bien sûr, de notre proposition de loi, alors ce sera une victoire. Notre victoire commune au bénéfice du bien commun.
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